Jean-Luc Lemahieu

Jean-Luc Lemahieu

Dans le cadre de notre série d’entretiens  « Les visages de l’ONU », intéressons-nous aujourd’hui à Jean-Luc Lemahieu. Actuel Directeur de la division d’analyse des politiques et des relations publiques à l’ONUDC, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Jean-Luc s’est construit une expérience professionnelle impressionnante au fil des ans. Grâce à différentes fonctions au sein des Nations Unies, il a voyagé et travaillé dans de nombreux pays.

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« Grâce au programme des JEA, j’ai pu mettre un pied aux Nations Unies. Pourtant, il m’a fallu une éternité avant que je puisse effectivement commencer à y travailler »

2010 07 July 12 Official Picture 1Jean-Luc a choisi d’étudier le droit à la Katholieke Universiteit Leuven et a ensuite opté pour un Master complémentaire en droit international public et privé à l’Université libre de Bruxelles. « J’ai choisi le droit parce que cette orientation offrait beaucoup de possibilités d’emploi. Le côté légal allait être moins utile pour moi plus tard, mais mes études m’ont certainement permis d’aiguiser mon esprit d’analyse. »

Son diplôme en poche, il était temps pour lui d’intégrer le marché de l’emploi. L’international l’avait toujours attiré mais les choses n’étaient pas si évidentes. « À cette époque, les programmes Erasmus n’existaient pas encore. Je venais de Bruges, une belle ville, et l’étranger semblait loin. » Finalement, il est parvenu à trouver un stage au ministère flamand de l’Enseignement où il a assisté à l’élaboration du programme Erasmus de l’Union européenne. Il a ensuite travaillé pour l’asbl Ryckevelde, une organisation non-gouvernementale qui tente de sensibiliser les jeunes aux idées et valeurs européennes et internationales.

Par la suite, Jean-Luc a posé sa candidature au programme des Jeunes Experts Associés (JEA/JPO) des Nations Unies. « Grâce au programme des JEA, j’ai pu mettre un pied aux Nations Unies. Pourtant, il m’a fallu une éternité avant que je puisse effectivement commencer à y travailler. La procédure a pris plus d’un an. Ça a été ma première rencontre avec la bureaucratie onusienne. Ça a été un choc ! » S’en suivit une période d’incertitude professionnelle, jusqu’à ce que par hasard, un article qu’il avait écrit sur les PMA (pays les moins avancés) retienne l’attention du chef du cabinet de la coopération au développement de l’époque, pour qui il a travaillé pendant un an.

« Le mélange varié de profils, de cultures et de sociétés est immensément enrichissant »

Jean-Luc avait déjà trente ans et deux enfants lorsqu’il a débuté au niveau P1, le niveau professionnel le plus bas aux Nations Unies. Il est parti en Corée du Sud pour l’ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le développement industriel). « On m’avait d’abord proposé d’aller au Zaïre (ancienne République Démocratique du Congo), un pays que je connaissais déjà au travers de mon travail pour le cabinet. Cependant, je voulais plutôt élargir mes horizons et aller dans un pays où je pourrais apprendre comment marche un développement économique efficace. Je n’ai donc pas laissé passer la deuxième offre qu’on m’a faite de travailler en Corée du Sud. » Et ça a été une expérience inestimable : « J’étais étonné de constater que deux pays comme la Corée du Sud et le Zaïre, qui partageaient pourtant les mêmes conditions économiques, étaient en train de se développer de manières totalement opposées. C’est là que j’ai commencé à me pencher sur le sujet. En outre, nous étions peu nombreux dans un petit bureau, j’ai ainsi petit à petit endossé plus de responsabilités. »

Cette première expérience lui a également permis de passer outre sa perception initiale des Nations Unies. « Le premier jour où je suis entré à l’ONU, je me suis dit : ‘Comment vais-je bien pouvoir réussir ici ?’ Dans mon imagination, les Nations Unies étaient une organisation plutôt élitiste, intellectuellement supérieure au citoyen moyen, un endroit où étaient élaborées des solutions aux problèmes les plus divers du monde. Mais, au final, je l’avais nettement surestimée. Naturellement, c’est un sentiment spécial que celui de travailler sous le célèbre drapeau bleu, mais l’ONU est une organisation comme les autres, avec de nombreuses qualités humaines et aussi son lot de mauvaises habitudes. Le mélange varié de profils, de cultures et de sociétés est immensément enrichissant parce que vous travaillez avec des gens d’origines et d’expériences très diverses et ce dans une atmosphère de respect mutuel. Je me suis peut-être détaché de  mes croyances au fil des années, mais ma foi en la société humaine s’est énormément renforcée. »

Cependant, après sa première expérience aux Nations Unies, il a décidé de s’en aller. « C’était une expérience immensément enrichissante mais le monde s’ouvrait à moi et Bruges était loin derrière. Une extension de mon contrat semblait difficile et je jouais avec l’idée de fonder ma propre entreprise en Corée du Sud. ‘Business and culture’ était le slogan. » Mais la vie vous joue parfois de drôles de tours. Une nouvelle organisation, l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime), lui a fait une meilleure proposition : un poste à la Barbade pour le bureau des Caraïbes. Plus tard, il travaillera également au Myanmar et en Afghanistan. « On me dit parfois que j’ai fait ma carrière à l’envers. La plupart des gens commencent à travailler dans les pays les plus difficiles et se dirigent ensuite vers des postes plus tranquilles. Dans mon cas, ça a été l’opposé, et j’en suis très reconnaissant. »

« Je trouve que lorsque vous vous engagez auprès des Nations Unies, vous devez aussi accepter les côtés difficiles »

L’expérience de terrain en Afghanistan a été la plus marquante pour Jean-Luc : « En Afghanistan, c’était aussi bien le boulot que les conditions de vie qui étaient difficiles. L’insécurité jouait un rôle majeur et, malheureusement, certains de nos collègues n’en sont pas revenus. » Les bureaux de l’ONU en Afghanistan sont invariablement des affectations non autorisé aux familles et les longues absences pèsent lourd sur les relations familiales et amicales. « Notre cercle social était limité. Ce n’est pas évident de travailler jour après jour avec des collègues que vous voyez tout le temps au bureau, que vous retrouvez autour d’une table le soir, et le matin en pyjama pour le petit-déjeuner », dit-il. « C’est important de trouver un équilibre et de se stimuler les uns les autres pour persévérer dans les meilleures conditions possibles. Apparemment, j’y suis bien arrivé puisque j’ai vécu cinq années passionnantes et j’ai travaillé avec des gens formidables. »

Malgré les conditions de vie et de travail moins aisées de certains postes de l’ONU, Jean-Luc plaide pour un certain réalisme : « Je trouve que lorsque vous vous engagez auprès des Nations Unies, vous devez aussi accepter les côtés difficiles. Même confrontés à ces circonstances pénibles, nous sommes toujours mille fois plus chanceux que ceux que nous essayons d’aider. On œuvre pour un idéal : un monde meilleur. Ne travaillez pas pour l’ONU si vous n’êtes pas capable d’entretenir ce feu en vous. »

Grâce à sa longue carrière, Jean-Luc s’est également rendu compte des lacunes de l’ONU : « Les budgets sont fréquemment restreints et nous manquons souvent d’efficacité à cause d’une bureaucratie trop lourde et de nombreuses procédures interminables. Nous ne sommes pas toujours les plus rapides, les plus sympas ou les plus élégants. » Toutefois, il estime que l’ONU peut accomplir beaucoup de choses : « Le drapeau bleu et neutre rassemble beaucoup de partenaires autour de la table. »

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« D’un seul coup, je me retrouve assis à une table avec des universitaires et des chercheurs, et j’apprends beaucoup de nouveaux concepts »

Actuellement, Jean-Luc Lemahieu est le Directeur de la division d’analyse des politiques et des relations publiques à l’ONUDC. Le contraste avec le travail de terrain est flagrant. « D’un seul coup, je me retrouve assis à une table avec des universitaires et des chercheurs, et j’apprends beaucoup de nouveaux concepts. En échange, grâce à mon expérience du terrain, je suis capable de leur dire ce qui peut marcher ou pas. Je replace maintenant mieux les choses dans une perspective globale et je vois les similitudes et les dissemblances parmi différentes approches. »

Dans le cadre de ses fonctions, Jean-Luc doit régulièrement voyager, et il essaie tant que possible de se rendre vers des continents et des pays qu’il connait moins bien, comme l’Amérique latine ou l’Afrique. Aujourd’hui, il a réussi à trouver le bon équilibre entre vie professionnelle et vie de famille. Tenant compte de ses expériences de terrain, il met un point d’honneur à profiter pleinement de la liberté que lui offre son poste en Europe : « Nous ne réalisons pas assez à quel point nous sommes privilégiés. Je profite désormais chaque jour de pouvoir me balader librement, visiter des lieux culturels, et même manger ce que je veux, et ce d’autant plus quand je sais que deux tiers des gens dans le monde n’ont pas cette chance. »

« N’allez pas directement travailler au Siège, allez sur le terrain. Un petit bureau est un excellent point de départ »

Jean-Luc se rend compte que, de nos jours, les choses ont changé par rapport à ses propres débuts. « Aujourd’hui, il y a un contraste. D’une part, les opportunités n’ont jamais été aussi nombreuses et les possibilités de travailler avec les ONG et les entreprises sont infinies. D’autre part, la compétition a aussi beaucoup augmenté, donc c’est loin d’être une tâche facile. » Cela dit, il nous donne quand même un conseil encourageant : « Prenez le temps de construire votre carrière. La compétition pour entrer aux Nations Unies est forte, mais l’ONU n’a pas nécessairement le monopole des idéaux. Il y a tant d’autres opportunités que vous devez oser saisir. Soyez ouverts à une perspective plus large. Travaillez dans une ONG ou dans le secteur privé. Le temps est de votre côté et il faut parfois accepter que la vie n’est pas une ligne droite. » Aussi est-il essentiel d’en profiter : « Au final, vous devez essayer d’apprécier aussi bien les bonheurs de la vie que les joies professionnelles durant votre carrière. » Enfin, il encourage tout le monde à expérimenter le travail de terrain : « N’allez pas directement travailler au Siège, allez sur le terrain. Un petit bureau est un excellent point de départ pour les jeunes. Les visages souriants des gens que vous aidez sont la meilleure garantie d’un épanouissement professionnel. »