Les Visages de l’ONU : Isabelle Durant

20 avril 2018 – Née en Belgique, Mme Durant a d’abord fait des études d’infirmière avant d’enseigner en cette qualité pendant une quinzaine d’années. Elle obtient ensuite un Master en Politique économique et sociale à l’Université Catholique de Louvain (UCL). Elle rejoint la politique belge au début des années 1990 et devient Secrétaire fédérale et porte-parole du parti Ecolo en 1994. De 1999 à 2003 elle occupe les positions de Vice-Première Ministre belge ainsi que de Ministre des Transports et de l’Energie. Après un second mandat à la co-présidence des Verts, elle rejoint le Parlement Européen en 2009 et en assure la Vice-Présidence jusqu’en 2014. C’est à ce titre qu’elle dirigera plusieurs délégations parlementaires, entre autres en Iran, Myanmar et Haïti.  Entre 2015 et 2016, elle est experte principale sur la gouvernance locale en Algérie. Mme Durant a rejoint l’ONU en juillet 2017, où elle exerce les fonctions de Secrétaire Générale Adjointe de la CNUCED.

Quel est votre parcours académique et comment estimez-vous son impact sur votre carrière ?

Mon parcours est légèrement « atypique » dans le sens où il n’est pas à proprement parler académique. Avant d’entamer une carrière politique, j’ai donc d’abord passé une quinzaine d’années dans l’enseignement technique et professionnel où je donnais cours à des jeunes en décrochage scolaire. Ce n’est que plus tard que j’ai décidé de suivre un Master en politique économique et sociale, en horaire décalé. Ce parcours et ces expériences de terrain m’ont été très précieux dans ma carrière politique. Avant de rentrer aux Nations Unies, j’ai accumulé une longue expérience en politique belge et européenne. Je pense donc que la diversité des postes que j’ai occupés est plutôt un atout, en tout cas dans la fonction qui est la mienne aujourd’hui.

Quel a été votre premier emploi, suite à l’obtention de votre diplôme ainsi qu’au sein des Nations Unies ?

Après mes études, ma fonction d’enseignante comprenait également un volet de coordination avec la société civile et les autorités locales. J’ai donc déjà, à ce moment-là, expérimenté la coordination et le partenariat entre le pouvoir public, le pouvoir politique, les organisations associatives, les écoles, le secteur privé local etc. J’ai ensuite rejoint le parti Ecolo en Belgique, qui venait à l’époque d’entrer au Parlement et y ai assuré des fonctions de coordination parlementaire. Je suis assez rapidement arrivée à la direction du parti. Ensuite, grâce à un large succès électoral au gouvernement, j’ai été nommée ministre et vice-première ministre, avant même d’avoir été parlementaire. Après quoi, tout en siégeant au Sénat, j’ai assuré la co-présidence du parti. J’ai ensuite rejoint le Parlement européen où je me suis perfectionnée dans le travail multilatéral. Je l’avais d’ailleurs déjà expérimenté durant la Présidence belge de l’UE qui m’avait amenée à présider le conseil des ministres des transports.  Cette expérience européenne m’a incitée à me rediriger par la suite vers les Nations Unies, que j’ai rejointes très récemment au poste de Secrétaire générale adjointe de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).

Quelles sont les implications de votre poste actuel et quels en sont les aspects les plus difficiles ainsi que les plus gratifiants ?

En tant que Secrétaire générale adjointe, j’ai un travail à la fois politique, de management et de supervision de l’assistance technique. La partie politique concerne principalement les négociations constantes avec les Etats-Membres. La CNUCED étant une conférence, le mandat qui lui a été assignée pour 4 ans est mis en œuvre et suivi au quotidien par ses 193 Etats-Membres. Nous sommes donc en dialogue permanent avec les représentants des Etats membres en vue d’aboutir à des consensus dans les domaines du commerce et du développement, entre les pays donateurs et les pays bénéficiaires. La CNUCED est une organisation comprenant à peu près 500 personnes. Elle nécessite donc un travail de management des ressources humaines, de coordination du travail et d’arbitrage. Enfin, la CNUCED n’est pas seulement une conférence ou un bureau d’études, c’est aussi un outil d’assistance technique sur des sujets variés. Il y a donc un travail de conception et de supervision des tous les programmes sur lesquels nous travaillons : depuis le management des ports, en passant par l’e-commerce, les PME, et la question des budgets dans tous les aspects commerciaux.

Au poste que j’occupe aujourd’hui, je suis passée de l’autre côté du miroir : je rencontre régulièrement des ministres de pays bénéficiaires ou donateurs. Le fait d’avoir exercé des fonctions similaires et expérimenté les contraintes et spécificités d’un mandat ministériel facilite grandement la compréhension des enjeux et le dialogue entre eux et nous.  Participer de cette manière au maintien et à la construction d’un dialogue et d’une coopération multilatérale au travers des Nations Unies est passionnant et espérons-le porteur de changement en ces temps de nationalisme exacerbé. Un repli que ressentent aujourd’hui toutes les structures supranationales.  Nous avons, plus que jamais, besoin de l’expérience de tout le monde et je crois qu’il n’y pas d’autre chemin que le multilatéralisme et le dialogue, même si l’un et l’autre sont des processus lents et compliqués.  Dans ce sens-là je suis contente d’être dans ce bateau. Et même si c’est un bateau qui tangue un peu, j’essaie d’y apporter ma contribution.Isabelle a son bureau

Comment estimez-vous le dialogue entre les différentes agences de l’ONU et le siège de Genève ?

Le dialogue et la coopération entre les différentes organisations basées à Genève fonctionnent assez bien, et cela au bénéfice des pays en développement.  Il va de soi que la CNUCED travaille un peu plus avec les agences qui relèvent du commerce, du développement, de la technologie au vu de son mandat. Nous travaillons un peu moins par exemple avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) ou l’organisation Mondiale de la Santé (OMS). Faire valoir les recommandations et propositions qui émanent de cette coopération dans les enceintes onusiennes basées à New-York est par contre plus difficile. Cela constitue un vrai défi autant pour la CNUCED que pour les représentations permanentes des pays membres.

Qu’est-ce qui, à votre avis est sur ou sous-estimé à propos du travail pour les Nations Unies ?

Premièrement, je pense que l’impression générale concernant les Nations Unies, c’est que tout ce qu’elles produisent l’est à New York. Souvent le fait qu’il y ait un siège à Genève est méconnu.  Les Nations Unies ce serait quasi exclusivement le Conseil de Sécurité et le soutien à la paix et à la sécurité quand bien même l’adoption de résolutions y est parfois laborieuse et leur mise en œuvre plus encore. C’est une image tronquée car les missions des organisations onusiennes vont bien au-delà de ce thème tout aussi central qu’il soit. Cette image restrictive est souvent celle que cherchent à véhiculer ceux qui pensent que la coopération internationale et supranationale sont superflues et contraires aux intérêts nationaux.

Il est vrai que quand on travaille avec beaucoup de pays, le processus est lent et difficile. Même s’il est vrai que le processus de décision des Nations Unies est lent et difficile, à 193 ce n’est pas simple. Même Mr. Guterres, en tant que Secrétaire général, dispose d’un pouvoir limité. Si les Etats Membres ne veulent pas bouger, il ne dispose pas des leviers pour les y obliger.   Mais, paradoxalement, quand les gens ne sont pas satisfaits, ils ont tendance à accuser les Nations Unies au lieu de s’en prendre à leurs représentants nationaux. Je pense que le temps et la durée aident parfois à prendre des décisions visant plus le moyen et le long terme. Ceci-dit, l’outil Nations Unies est largement perfectible. C’est d’ailleurs l’objet de la réforme qu’a introduit Mr. Guterres J’espère qu’elle portera ses fruits car c’est aussi une question de redéploiement des Nations Unies dans le but d’être plus efficace et plus ordonné.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui veulent entamer une carrière au sein de l’ONU ?

Tout d’abord, je leur dis : venez ! En cette période où certains veulent faire resurgir le nationalisme et le chacun pour soi, il est nécessaire que les jeunes se disent qu’ils font partie d’un monde interconnecté. Je leur conseillerais également de développer d’autres expériences dans d’autres domaines, ou de bouger à l’intérieur des Nations Unies. Je leur conseille de faire des missions et de voyager, ce sera leur meilleur bagage pour être un bon fonctionnaire des Nations Unies et non pas quelqu’un qui n’aura en tête, et ce n’est pas totalement illégitime, que sa carrière personnelle. Il est important de plutôt viser le bien commun que les Nations Unies peuvent apporter de façon juste et équilibrée, tout en respectant les populations avec lesquelles nous travaillons.

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