Vers une approche globale de la lutte contre les discours de haine

A l’occasion de la première Journée internationale de la lutte contre les discours de haine et du lancement de la campagne #NonALaHaine, Birgit Van Hout, représentante régionale du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme, rappelle les enjeux de cette lutte.

Au cours l’Histoire, les discours de haine ont souvent précédé la violence et conduit à des crimes atroces. Aujourd’hui, nous assistons à une explosion des discours de haine, amplifiés par les réseaux sociaux, y compris en Europe.

De plus en plus de politiciennes, parfois même des membres du Parlement européen, des militantes et des journalistes reçoivent des menaces en ligne, généralement de nature misogyne. Cela conduit souvent à l’autocensure, voir au retrait de la vie publique de ces femmes.

Les discours de haine visent aussi des groupes minoritaires ethniques, raciaux et religieux, des migrants ou des réfugiés. Pendant la crise sanitaire du COVID-19, nous avons assisté à une intensification des insultes verbales à l’encontre de ces communautés. La double victimisation des femmes issues de communautés minoritaires illustre l’intersectionnalité du racisme et de la xénophobie avec la misogynie.

Nous avons également observé des discours de haine envers la communauté LGBTI. Certaines autorités locales ont proclamé leurs villes comme zones interdites aux LGBTI, des sanctions disproportionnées ont été imposées aux militants LGBTI et une indulgence inquiétante de la part de certaines autorités à l’égard des crimes de haine contre la communauté LGBTI a également été observée.

Il est cependant difficile d’obtenir des statistiques précises à ces sujets, et ce pour plusieurs raisons : les discours de haine ne sont souvent pas signalés ; les autorités ne recueillent pas toujours ces informations et, si elles le font, elles ne sont pas nécessairement ventilées par les groupes de victimes.

 

Le concept de discours de haine

Le concept de discours de haine n’est pas défini par le droit international. En revanche, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques appelle à l’interdiction par la loi des appels à la haine qui constituent une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence. Le même traité offre de fortes protections pour la liberté d’expression. Par conséquent, il existe une tension entre la garantie de la liberté d’expression et la protection des individus et des communautés contre les discours de haine.

Il peut être difficile de déterminer à quel moment précis un discours atteint le seuil de l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, et à partir duquel il doit être interdit par la loi. Pour aider les cours et les tribunaux à prendre cette décision, les Nations Unies ont élaboré le Plan d’action de Rabat qui est un ensemble de critères permettant d’évaluer, au cas par cas, le contexte, le locuteur, l’intention, le contenu, l’étendue de la diffusion du discours et la probabilité de préjudice.

Dans une démarche prometteuse, le Conseil de surveillance de Meta a utilisé le test du seuil de Rabat dans plusieurs décisions, en se référant explicitement aux traités, principes et recommandations internationaux en matière de droits de l’homme. La réglementation des plateformes de réseaux sociaux est relativement complexe, et les lois de l’UE sur les services numériques et le marché numérique devraient s’efforcer de trouver un juste équilibre avec un maximum de transparence.

Lorsque les propos n’atteignent pas le seuil de l’incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence, nous devons faire preuve de prudence et ne pas criminaliser ou interdire les propos, même s’ils sont haineux ou blessants, mais plutôt nous tourner vers d’autres mesures. Il y a de bonnes raisons de le faire : lorsque la liberté d’expression est indûment restreinte, cela affecte toute une série d’autres droits de l’homme, comme la liberté d’association, la liberté de réunion pacifique et la liberté des médias.

En outre, les législations et politiques européennes sont fréquemment copiées dans d’autres parties du monde. Il existe un réel danger que, dans les pays moins démocratiques, les défenseurs des droits de l’homme, les leaders de l’opposition, les universitaires, les syndicalistes, les organisateurs locaux et les journalistes soient réduits au silence par des restrictions excessives de la liberté d’expression. Déjà aujourd’hui, plusieurs pays dans le monde utilisent des lois sur les discours de haine pour supprimer les dissidences légitimes ou persécuter les minorités.

 

Le discours de haine : une représentation de la discrimination

Le discours de haine tend à être une représentation d’une discrimination sous-jacente. Par conséquent, les mesures visant à lutter contre les discours haineux vont de pair avec des mesures qui luttent contre la discrimination et ses causes. L’UE a fait un bond en avant dans ce domaine depuis la nomination d’un Commissaire européen à l’égalité : des politiques d’égalité et d’inclusion ont été adoptées pour combattre l’antisémitisme et la haine antimusulmane, pour mettre fin à la discrimination à l’encontre des personnes handicapées et pour faire progresser l’égalité entre les sexes. Le cadre européen pour l’inclusion des Roms, s’il est mis en œuvre par les États membres de l’UE, offre une occasion historique d’accorder aux femmes, aux hommes et aux enfants roms l’accès à leurs droits fondamentaux sur un pied d’égalité avec les autres.

Dans son plan d’action contre le racisme, la Commission européenne a appelé les États membres de l’UE à élaborer des plans d’action nationaux contre le racisme. S’ils adoptent une approche globale de la société et s’ils sont élaborés en consultation avec les communautés discriminées, ces plans peuvent être efficaces pour lutter contre les causes essentielles du discours de haine.

 

Vers une approche globale

Seule une approche globale et multidimensionnelle de la lutte contre les discours de haine peut s’avérer efficace.

Les responsables politiques doivent particulièrement s’abstenir de tout discours de haine et doivent condamner officiellement les messages susceptibles d’inciter à la haine. À cet effet, les partis politiques devraient adopter et appliquer des directives éthiques.

Les personnalités publiques, les journalistes, les média et les autorités sportives nationales doivent être sensibilisés à leur rôle de formateurs de l’opinion publique. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a développé des outils pour cadrer les récits sur les migrants et nous libérer de ce qui est devenu une rhétorique essentiellement négative et souvent toxique. La boîte à outils #Faith4Rights (« La Foi pour les Droits » – lien en anglais) propose en outre un apprentissage entre pairs par des acteurs croyants à propos de la manière dont les chefs religieux peuvent lutter contre les discours de haine.

Un effort plus important peut également être fait pour mettre en œuvre les recommandations spécifiques à chaque pays émanant des mécanismes internationaux des droits de l’homme, tels que les organes de traités des Nations Unies, l’examen périodique universel ou les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

En outre, les États devraient collecter des données précises et ventilées afin de recouper les facteurs et les multiples couches de privation, de désavantage et de discrimination qui rendent certains groupes vulnérables aux discours de haine.

Enfin, l’éducation aux droits de l’homme est la stratégie la plus efficace pour prévenir et contrer le discours de haine, ses causes et ses manifestations. En développant des connaissances qui permettent aux enfants et aux jeunes d’identifier et de revendiquer les droits de l’homme, ils peuvent reconnaître leurs propres préjugés et ceux des autres et devenir des agents du changement.

Birgit Van Hout, représentante régionale du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme

 

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