Giles Duley, photographe, au chevet des blessés de guerre

Giles Duley a consacré son travail de photographe à documenter les impacts de la guerre. Lui-même gravement blessé en Afghanistan, il continue ce combat sur tous les fronts pour soigner ses plaies et celles des autres.

Photographe, écrivain et conteur britannique, Giles Duley est à la tête de l’ONG « Legacy of War Foundation ». En 2022, il a été désigné comme le tout premier défenseur mondial des Nations Unies pour les personnes handicapées dans les situations de conflit et de consolidation de la paix. 

Au cours de l’année écoulée, il s’est rendu à Gaza, en Ukraine et en Somalie, où il a concentré son travail sur les récits des blessés au cours de conflits. 

À l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation aux mines et d’assistance à la lutte antimines, le 4 avril, l’UNRIC s’est entretenu avec lui.

Votre travail se concentre sur l’impact humanitaire des conflits. Pouvez-vous nous raconter l’histoire qui vous a amené à travailler sur ce sujet ?

J’ai commencé au début des années 90 à documenter l’impact de la guerre. Les guerres peuvent être générationnelles et les personnes blessées portent cet héritage toute leur vie, et je voulais raconter ces histoires.

J’ai moi-même été blessé en Afghanistan en 2011, dans ce que je décrirais comme la pire journée de travail que l’on puisse imaginer. Je n’ai pas été victime d’une mine terrestre. J’étais là par choix. Je faisais mon travail. J’ai passé un an à l’hôpital. J’ai perdu mes deux jambes et mon bras gauche et j’ai subi 37 opérations pour sauver ma vie. Pendant la majeure partie de l’année, j’ai eu des hauts et des bas, mais heureusement, 18 mois plus tard, j’étais de retour en Afghanistan et je poursuivais mon travail. Mon travail n’a pas changé. J’ai été blessé à cause de ma passion pour ce travail et parce que je voulais raconter les histoires des civils blessés dans les conflits. La seule chose qui a changé, c’est que j’ai littéralement marché dans les pas des personnes dont je raconte l’histoire.

Quelles sont vos priorités en tant que défenseur mondial des Nations Unies pour les personnes handicapées dans les situations de conflit et de consolidation de la paix ?

Il y a quelques années, j’étais au Cambodge et j’ai rencontré un ancien enfant soldat qui avait été blessé par une mine terrestre et avait perdu ses deux jambes au-dessus du genou. Il avait maintenant une quarantaine d’années et n’avait jamais vraiment bénéficié de soutien. Il était pris en charge par sa sœur qui vivait également dans la pauvreté. Il m’a montré trois paniers à chiens à côté de sa maison et m’a indiqué le plus grand en disant : « c’est là que je dors ».

Il avait des blessures très similaires aux miennes. Il était certainement aussi déterminé, aussi intelligent et aussi résistant que moi. Il n’y avait aucune différence entre nous, si ce n’est la chance. J’ai bénéficié d’une rééducation et d’un soutien prothétique parmi les meilleurs. Je mène une vie bien remplie. Je travaille comme chef cuisinier. Je voyage dans le monde entier. Je vis mes passions. Je suis complètement indépendant. Cet homme vivait comme un chien. 

C’est vraiment la mission qui m’incombe dans ce rôle : tout le monde devrait avoir la possibilité de vivre pleinement sa vie. Je vis toujours dans l’ombre de ce qui m’est arrivé il y a 12 ans. Personne ne dit « ce type couvre les conflits en tant que photographe primé. Il est directeur général de l’une des ONG internationales à la croissance la plus rapide et il est également chef cuisinier professionnel ». Non, ils me définiraient par ce qui m’est arrivé il y a 12 ans. Dans ce rôle, je veux être un modèle pour les personnes qui ont été blessées et leur montrer qu’il est possible de vivre une vie pleine et entière sans vivre dans l’ombre de son traumatisme.

Quels sont les changements que vous souhaiteriez voir se produire pour les personnes blessées ? 

Il s’agit de donner à ces personnes les moyens de réadaptation et les prothèses dont elles ont besoin. Ce que j’ai vu à maintes reprises, c’est que des personnes ont été sauvées, mais qu’elles n’ont pas reçu le soutien nécessaire pour retrouver leur indépendance. Il ne sert à rien de sauver une vie si nous ne la rendons pas. Il s’agit simplement de trouver les fonds nécessaires pour aider les gens à reconstruire leur vie.

Les personnes blessées sont également exclues du processus de construction de la paix. Elles doivent être impliquées dans ce processus.

Quel est votre message pour la Journée internationale de sensibilisation aux mines et d’assistance à la lutte antimines ?

Nous vivons une période très difficile. La prolifération des engins explosifs improvisés (EEI) et des mines terrestres n’a probablement jamais été aussi importante depuis une vingtaine d’années. Les victimes des mines terrestres sont souvent des personnes vivant en milieu rural dans la pauvreté, ramassant du bois de chauffage ou effectuant des travaux manuels. Nous parlons souvent du déminage et peu des conséquences que les mines peuvent avoir. Il ne s’agit pas seulement de déminer des zones pour la construction. Il s’agit de sauver des vies.

Quel moment vous a marqué au cours de votre travail de photographe ?

Pour moi, la photographie consiste à établir des relations. Une femme appelée Kholoud a été paralysée par une balle de sniper en Syrie en 2014. Lorsque je l’ai rencontrée, elle vivait dans une tente artisanale au Liban. La tente était faite de carton, de plastique, d’affiches arrachées à des panneaux publicitaires. Je l’ai photographiée et deux ans plus tard, j’y suis retournée et j’ai constaté qu’elle était dans la même situation. C’est la raison pour laquelle j’ai créé ma propre ONG, car je me suis dit qu’à partir de maintenant, je ne pourrais jamais laisser quelqu’un dans cette situation et penser que j’ai fait mon travail simplement parce que j’ai pris une photo. 

Kholoud est paralysée depuis qu’elle a été touchée par un sniper en Syrie en 2014. Avec son époux, Jamal, dans un hôpital au Liban en 2014 © Giles Duley / Legacy of War Foundation

La photo montre Kholoud allongée dans son lit et son mari, Jamal, qui lui tient la main. Ce n’est pas la photo d’un réfugié. Ce n’est pas la photo d’une femme handicapée. C’était la photo d’un couple amoureux. Je ne photographie pas la guerre. Je photographie des personnes vivant dans des situations de conflit, mais en réalité, je photographie les relations et l’amour. Nous nous concentrons sur la guerre, sur la violence, mais qu’est-ce que nous défendons ? Nous défendons les familles, les relations, l’amour et la communauté. C’est vraiment là que je me concentre.

 

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