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« Ecureuils » mobilisés contre l’A69 : conclusions du rapporteur spécial de l’ONU

Ci-dessous l’intégralité de la déclaration de fin de mission de Michel Forst, Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les défenseurs de l’environnement après sa visite dans le Tarn, en France, auprès des militants écologistes qui protestent contre le projet d’autoroute A69.

« Les 22 et 23 février derniers, je me suis déplacé dans le Tarn en ma qualité de Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les défenseurs de l’environnement au titre de la Convention d’Aarhus.

Cette visite faisait suite aux plaintes déposées auprès de mon mandat, concernant les méthodes de maintien de l’ordre et d’expulsion des défenseurs de l’environnement – surnommés « écureuils » – occupant pacifiquement des arbres sur le site de la « Crem’Arbre » (commune de Saïx) dans le contexte des mobilisations contre le projet autoroutier de l’A69.

Cette visite avait pour objectif d’observer directement la situation sur place et de recueillir des informations complémentaires, par le biais d’échanges avec différents acteurs de la société civile et les autorités.

Je me suis d’abord entretenu le 22 février à Saïx avec deux « écureuils » ainsi qu’avec des collectifs et personnes présentes sur le site de la « Crem’Arbre » ou ayant participé aux diverses manifestations organisées sur place. J’ai ensuite rencontré à ma demande le 23 février à Albi le Préfet du Tarn, Michel Vilbois, en présence du Colonel commandant du groupement de gendarmerie du Tarn, responsable des opérations des forces de l’ordre sur le site de la « Crem’Arbre ».

Lors de ma visite, j’ai également échangé avec plusieurs secouristes volontaires (« médics ») et membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières présents sur le site de la « Crem’Arbre », ainsi qu’avec l’avocate chargée du dépôt de plaintes contre X pour « mise en danger d’autrui », relatives à des faits s’étant déroulés entre le 14 et le 22 février 2024, pendant des opérations des forces de l’ordre sur ce même site.

Observations relatives à la visite du 22 février 2024 à Saïx

Je remercie les forces de l’ordre présentes le 22 février sur le site de la « Crem’Arbre », d’avoir facilité mes échanges avec les « écureuils ». Je regrette néanmoins de n’avoir pas été autorisé :

  • A choisir le moyen par lequel accéder aux arbres, malgré ma demande, afin de pouvoir échanger avec un plus grand nombre d’« écureuils » ;
  • A apporter un ravitaillement en nourriture aux « écureuils », malgré ma demande d’autorisation au Préfet du Tarn, restée sans réponse.

Je regrette également que la presse n’ait pas été autorisée à se placer sur la route bordant le bois du site de la « Crem’Arbre » pendant ma visite, afin de pouvoir effectuer son travail dans de meilleures conditions.

Observations liminaires sur le champ de mon mandat

En tant que Rapporteur Spécial sur les défenseurs de l’environnement, mon mandat a pour rôle de protéger celles et ceux qui sont menacés pour les actions qu’ils mènent en faveur de l’environnement.

Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la pertinence ou la légalité du projet autoroutier de l’A69, mais de répondre aux persécutions et harcèlement présumés des défenseurs de l’environnement qui s’y opposent pacifiquement par divers moyens, y compris la désobéissance civile.

Tout membre du public cherchant à exercer son droit de vivre dans un environnement sain est un défenseur de l’environnement au sens de la Convention d’Aarhus, que la France a ratifiée en 2002. Les « écureuils » et les individus, groupes, ou associations participant pacifiquement aux rassemblements et manifestations contre le projet autoroutier de l’A69 sont des défenseurs de l’environnement au sens de la Convention d’Aarhus et éligibles à la protection de mon mandat.

Demande de mesures immédiates de protection des défenseurs de l’environnement occupant pacifiquement les arbres

À la suite de ma visite, je souhaite exprimer mes vives préoccupations concernant :

  • Le climat particulièrement tendu sur le site de la « Crem’Arbre », tout à fait incompatible avec une expulsion des « écureuils » dans des conditions satisfaisantes de sécurité, pour eux-mêmes ou pour les membres des forces de l’ordre chargés de leur interpellation dans les arbres qu’ils occupent. Dans un contexte où un recours contre l’autorisation environnementale pour la construction de l’autoroute A69 est pendant devant le tribunal administratif de Toulouse et où la légalité des travaux de défrichement entrepris sur le site de la « Crem’Arbre » au début du mois de février 2024 est fortement contestée, les défenseurs de l’environnement présents sur place expriment un très fort sentiment d’injustice et d’impuissance, en outre exacerbé par une présence massive des forces de l’ordre, notamment au vu du nombre de personnes présentes sur place, dans les arbres ou au sol.
  • L’interdiction de ravitaillement en nourriture et les entraves à l’accès à l’eau potable, qui entrent dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la Convention contre la torture des Nations Unies. Depuis le 15 février 2024 et jusqu’à ce jour, les autorités interdisent le ravitaillement en nourriture des « écureuils ». Entre le 15 et le 20 février 2024, les autorités ont également interdit le ravitaillement en eau des « écureuils ». Le 20 février, lorsque les autorités ont enfin permis aux « écureuils » d’avoir accès à l’eau potable, l’entreprise NGE chargée des opérations de défrichement sur place a percé les bidons d’eau apportés par les forces de l’ordre et destinés aux « écureuils ».
  • La privation délibérée de sommeil par des membres des forces de l’ordre, qui entre également dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la Convention contre la torture des Nations Unies. Dans les nuits du 16 au 19 février 2024, des membres des forces de l’ordre se sont livrés à diverses actions visant délibérément à empêcher les « écureuils » de dormir, notamment par l’usage, confirmé par les forces de l’ordre, de lumières stroboscopiques pointées en direction des arbres. L’objectif de ces actions semble avoir été de forcer les « écureuils » à quitter les arbres.
  • La combustion de divers matériaux, l’allumage de feux, le déversement de produits a priori inflammables au pied d’arbres occupés par des « écureuils », par les forces de l’ordre. Les 14 et 15 février 2024, divers actes dangereux voire illégaux des forces de l’ordre, créant un risque de départ de feu et d’intoxication, ont été rapportés et documentés, y compris : la combustion de divers matériaux en plein bois, l’allumage de plusieurs feux en lisière de bois, le déversement de produits a priori inflammables au pied de trois arbres occupés par des « écureuils ».

Au vu des informations ci-dessus, je demande aux autorités françaises la prise de mesures immédiates de protection des « écureuils », notamment :

  1. L’autorisation sans délai et sans entrave du ravitaillement en nourriture et en eau potable.
  2. La prise de toutes les mesures de précautions indispensables à la sécurité des « écureuils » et des membres des forces de l’ordre chargés de leur interpellation.
  3. Une enquête et des sanctions pour les actes de privation de sommeil, de combustion de matériaux, d’allumage de feux et de déversement de produits a priori inflammables par les forces de l’ordre, qui ont pu mettre en danger la vie des « écureuils ».

Demande de facilitation du travail de la presse et des observateurs des pratiques policières

Lors de ma visite j’ai pu constater que la presse et les membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières étaient tenus à une distance importante du site de la « Crem’Arbre », dans une zone avec une visibilité extrêmement limitée. Bien qu’une opération de police judiciaire puisse justifier certaines restrictions d’accès au site, celles-ci devraient être strictement limitées et clairement définies. Les obligations internationales de la France, notamment liées au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, comprennent la facilitation de l’exercice de leurs fonctions par les observateurs.

A ce titre, je demande également aux autorités françaises de faciliter le travail de la presse et des observateurs, conformément aux obligations internationales de la France, notamment en :

  1. S’assurant que la presse et les membres de l’Observatoire toulousain des Pratiques Policières soient autorisés à, et puissent effectivement effectuer, leur travail sur place sans restriction disproportionnée, y compris en délimitant strictement, clairement et de la manière la plus limitée possible toute zone où ils ne sont pas autorisés à accéder lors des opérations de police judiciaire.

Enfin, lors de ma visite j’ai également reçu d’autres informations très préoccupantes, relatives aux méthodes de maintien de l’ordre pendant les différents rassemblements à proximité du site de la « Crem’Arbre » au cours du mois de février. Cela inclut un usage disproportionné et indiscriminé de grenades lacrymogènes, y compris en direction des arbres occupés ; des arrestations violentes, y compris des coups de matraques, coups de pieds et coups de poings portés contre des manifestants au sol ; et des entraves à l’accès des « médics » aux secours professionnels, notamment les ambulances.

Je procèderai à la vérification des informations reçues sur ces faits, dans le cadre du traitement des plaintes déposées auprès de mon mandat.

Bien que la gravité des observations que j’ai pu faire et des informations que j’ai reçues au cours de ma visite les 22 et 23 février 2024 m’incite à publier la présente déclaration pour exprimer mes préoccupations sans délai et formuler les quatre demandes ci-dessus de mesures immédiates de protection des défenseurs de l’environnement, le traitement des plaintes soumises formellement à mon mandat suivent leur cours et permettront d’approfondir chacune des questions soulevées par ces plaintes et au cours de ma visite.

À cet égard, je souhaite poursuivre un dialogue constructif avec les autorités françaises, afin de veiller à ce que les membres du public qui œuvrent pour protéger l’environnement en France ne soient pas persécutés ou harcelés pour leur engagement ».

Fin février, Michel Forst s’est inquiété des menaces sur la démocratie et les droits humains liées à la répression contre les militants écologistes en Europe.

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