EYE2023 : Une jeune activiste qui déplace les montagnes

À l’approche de la Rencontre des Jeunes Européens (EYE2023), qui se tiendra à Strasbourg les 9 et 10 juin, un rassemblement biennal organisé par le Parlement européen, nous avons interviewé quatre jeunes activistes participant à l’événement, sur leur travail, leurs ambitions et leurs messages aux dirigeants mondiaux. 

L’ONU à Bruxelles sera présente à l’événement et discutera avec ces jeunes leaders de ce dont ils ont besoin pour participer de manière plus significative à la politique et à la démocratie. 

Dans cette interview, vous découvrez plus sur le parcours de Tambe Honourine Enow du Cameroun, qui vit en Belgique. 

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir une jeune activiste ?   

C’est ma vie personnelle qui a inspiré mon parcours. Je ne veux pas que cette histoire suscite la pitié, je veux que ce soit celle d’une Africaine ambitieuse, jeune et forte, issue d’une communauté rurale du Cameroun, qui est aujourd’hui capable d’avoir un impact sur le monde grâce à la motivation que lui procure son expérience personnelle 

Je n’ai pas grandi dans une famille ou une communauté riche. Je suis originaire d’Isangele-Bakassi, une communauté très rurale située à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria. Au début des années 2000, ma famille dépendait de l’agriculture et de la pêche pour vivre et des cours d’eau pour s’approvisionner en eau potable. Par ignorance et en l’absence de moyens de subsistance alternatifs, ma communauté utilisait des produits chimiques pour la pêche et mettait en œuvre des techniques agricoles non durables. En raison du changement climatique et de la pollution chimique de la péninsule, j’ai été témoin de l’assèchement du cours d’eau dont nous dépendions pour boire, d’une diminution des précipitations, qui a affecté la productivité agricole, et d’une baisse significative de la pêche. Ces phénomènes ont entraîné une grave famine et le déplacement des habitants d’Isangele 

Les catastrophes qui ont frappé ma communauté m’ont mise à genoux et m’ont fait fondre en larmes. J’ai alors décidé de plaider en faveur d’actions qui permettraient de résoudre ces problèmes dans ma communauté et dans d’autres communautés similaires en Afrique. Avec une formation universitaire en sciences de l’environnement et du climat, je comprends maintenant qu’il a fallu plusieurs années pour que les activités piscicoles et agricoles de la fin des années 90 commencent à affecter nos moyens de subsistance. La génération qui est à l’origine de cette surexploitation ou mauvaise exploitation des ressources a aujourd’hui disparu. L‘impact est ressenti par leurs enfants et petits-enfants. Cette prise de conscience m’a donné envie de créer une différence positive dans le monde afin de le préserver pour les générations futures, et je crois que cela ne peut se faire qu’en représentant les voix des jeunes des communautés rurales dans les négociations nationales et internationales sur des sujets liés au changement climatique, à la perte de biodiversité, à la dégradation de l’environnement et à la pollution.  

Les jeunes des communautés rurales subissent de plein fouet l’impact du changement climatique et d’autres problèmes environnementaux, mais leurs voix sont sous-représentées dans ces espaces. En tant que jeune ayant une expérience de vie similaire à la leur, je m’efforce d’accéder à ces tables de négociation et d’influencer les politiques qui permettraient de protéger ces communautés rurales. 

 

Souhaitez-vous donner un exemple de l’impact de votre travail ? / De quoi êtes-vous particulièrement fière ? 

Je crois fermement que la participation à des expériences internationales renforce la confiance des jeunes. En outre, les jeunes ont le potentiel de transformer leurs communautés s’ils reçoivent le soutien nécessaire. En 2021, j’ai créé la Fondation africaine pour le climat et l’environnement (ACEF), une organisation dirigée par des jeunes, dont l’objectif est de mobiliser les jeunes Africains et de leur donner les moyens d’agir en faveur du climat et de l’environnement, ainsi que du développement durable, afin de combler le fossé entre la faim et la pauvreté, d’atténuer le changement climatique, de protéger l’environnement et de préserver les ressources naturelles de l’Afrique. En deux ans d’existence, l’ACEF est officiellement enregistrée dans cinq pays et compte 5000 membres dans 22 pays africains. L’ACEF est déjà accréditée par plusieurs entités des Nations Unies comme le Programme des Nations Unies pour l’environnement, la Conférence des Nations Unies sur les océans, la Conférence de l’ONU sur l’eau, et la Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés. 

Grâce à ces accréditations, l’association a donné accès aux jeunes africains à ces conférences. Auparavant, ces jeunes n’avaient pas accès à de tels événements. En 2022, j’ai mobilisé des fonds pour envoyer six jeunes Africains à la COP27, la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques en Égypte. C’était la première fois que ces jeunes voyageaient hors de leur pays et leur première expérience de COP. L’un des bénéficiaires a obtenu une bourse Erasmus Mundus pour étudier le Master en sciences, politiques et gestion de l’environnement. Un autre a réussi à décrocher un bon emploi dans une organisation internationale. 

En ce qui concerne le service à la communauté, j’ai développé un programme intitulé « Lutter contre la triple crise planétaire (pollution/déchets, perte de biodiversité et changement climatique) en Afrique grâce à une gestion saine des déchets basée sur la nature et l’autonomisation des jeunes ». Grâce à ce programme, nous avons retiré plusieurs tonnes de déchets (en particulier des déchets plastiques) de l’océan, de l’environnement marin et terrestre dans plusieurs pays d’Afrique ; nous avons sensibilisé les gens au traitement des déchets à la maison ; nous avons créé des clubs environnementaux dans les écoles, planté plus de 5000 arbres de mangroves pour piéger le carbone et renforcer la résistance aux tempêtes de vent et aux inondations ainsi qu’améliorer la biodiversité ; nous avons encouragé la culture d’algues marines pour la purification des océans, l’amélioration de la biodiversité et la production de produits cosmétiques et de plastiques biodégradables. Ces activités ont permis aux membres de la communauté qui travaillent avec nous de gagner leur vie. 

En plus de donner aux jeunes Africains de base l’occasion d’acquérir de l’expérience et de servir leurs communautés, j’espère les avoir motivés réaliser leurs rêves à travers mes réussites personnelles. Par exemple, en janvier 2023, j’ai été sélectionnée par le directeur exécutif du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) pour faire partie du groupe consultatif scientifique multidisciplinaire d’experts (MESAG) de la 7e édition de l’évaluation du Rapport sur l’Avenir de l’environnement mondial (GEO-7). Ce groupe est composé d’experts environnementaux de premier plan du monde entier et est chargé de conseiller le directeur exécutif du PNUE, les auteurs, les chercheurs et les experts et d’examiner la crédibilité scientifique de l’évaluation du GEO-7. Je considère que ma sélection pour rejoindre ce groupe de 30 experts, issus de 179 nominations, est une réussite car je suis la seule femme noire originaire d’Afrique à siéger au sein du conseil, représentant le groupe africain. Je suis particulièrement fière de cette réussite car j’ai été sélectionnée non pas parce que je suis jeune, mais parce que je suis une experte, étant donné que les critères de sélection ne tenaient compte que de l’équilibre entre les disciplines, les régions et les sexes. Cela montre clairement qu’il y a des experts parmi les jeunes et qu’il faut donc leur donner l’occasion de diriger. Ma sélection au conseil d’administration de MESAG a motivé de nombreuses jeunes Africaines à poursuivre leurs études et réaliser leurs rêves. 

 

Où vous voyez-vous dans les cinq prochaines années ?  

Mon parcours d’activiste et mon expérience universitaire et professionnelle m’ont permis de comprendre que nous ne pourrons pas maintenir l’objectif de 1,5 °C si nous ne poussons pas les décideurs politiques à agir. En outre, nous devons travailler ensemble pour atteindre les 17 Objectifs de développement durable qui sont directement ou indirectement liés au changement climatique. Il ne nous reste plus que 7 ans pour atteindre les ODD. Je veux passer les cinq prochaines années à m’assurer que nous atteignons les ODD étant donné que cela améliorerait les moyens de subsistance et le niveau de vie des personnes appartenant à des communautés vulnérables. Au cours des cinq prochaines années, je me verrais bien conseiller les gouvernements nationaux et les instances internationales sur les politiques à mener en matière de climat et d’environnement. Je m’appuierai sur la science, l’ingénierie et les connaissances des citoyens locaux pour m’assurer que la politique que nous élaborerons, quelle qu’elle soit, abordera les problèmes propres à chaque pays et favorisera des moyens de subsistance durables pour les communautés de base. Je crois fermement que la localisation des projets est nécessaire. C’est pourquoi, dans cinq ans, je me vois travailler pour une organisation multilatérale de développement comme la Banque mondiale, l’UNICEF, le PNUD, etc., en dirigeant leurs projets de développement dans les communautés de base qui tiennent compte de l’intégrité climatique et environnementale et qui donnent la priorité à l’inclusion des jeunes. 

 

Quel message souhaitez-vous adresser aux dirigeants actuels ?  

Je veux dire à nos dirigeants qu’ils devraient non seulement nous donner un siège à la table des discussions, mais aussi reconnaître notre potentiel et nos réalisations en nous écoutant et en essayant de mettre en œuvre certaines des solutions que nous proposons. Les jeunes ne sont pas les futurs dirigeants comme on le dit toujours ; ils sont à la fois les dirigeants d’aujourd’hui et de demain. Je crois en l’émancipation des jeunes en leur fournissant les compétences nécessaires pour développer des solutions innovantes pour relever les défis climatiques et environnementaux les plus pressants de la planète. Il est temps que nos dirigeants leur donnent les moyens d’agir, s’engagent, écoutent et mettent en œuvre les solutions qu’ils proposent.  

Chers dirigeants, si vous nous en donnez l’occasion, nous vous assurons que nous travaillerons en étroite collaboration avec vous et que nous apporterons des changements, car nous sommes le groupe démographique le plus important au monde. Il existe un énorme potentiel de collaboration et de travail avec nous. Nous pouvons déplacer des montagnes si nous travaillons ensemble. Nous sommes heureux de nous asseoir et discuter avec vous, mais seulement si vous êtes sérieux dans votre volonté de nous écouter et de mettre en œuvre les solutions que nous recommandons pour relever certains des défis auxquels le monde est confronté. 

 

Quel message souhaitez-vous transmettre aux autres jeunes ?  

Les jeunes du monde entier, en particulier ceux des communautés de base, devraient prendre l’initiative d’apporter des solutions novatrices aux problèmes de leurs communautés, de leurs pays, de leurs régions et du monde en général. Nous ne pouvons pas continuer à attendre que nos dirigeants agissent car, dans 30 ans, la plupart d’entre eux ne seront plus là, mais les jeunes seront là pour subir les effets néfastes du changement climatique résultant de la faiblesse des politiques mises en œuvre aujourd’hui. Je vous invite tous à cesser de vous battre avec les dirigeants de votre pays. Contactez-les et trouvez un moyen de travailler ensemble, car la formulation et la mise en œuvre de politiques judicieuses susceptibles d’apporter des changements significatifs ne pourront jamais se faire si nous nous battons les uns contre les autres, et en tant que jeunes, nous risquons de perdre encore plus. Nous devons nous asseoir ensemble, réfléchir et trouver des solutions durables au changement climatique et aux questions environnementales. 

 

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