« La conflictualité évolue, les opérations de maintien de la paix doivent en faire de même »

« Nations Unies et opérations de paix : réformes ou marginalisation ? » Une question qui a toute sa pertinence dans un monde criblé de conflits, dans lequel les Nations Unies sont toujours plus sollicitées, mais aussi critiquées. Deux spécialistes ont fait le point sur la question lors d’un déjeuner-débat mardi 28 avril. Retour sur les grandes lignes de cette conférence organisée par l’Association pour les Nations Unies (APNU).

Mardi 28 avril, deux spécialistes des relations internationales, Victor Angelo, ancien Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, et Michel Liégeois, professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL) et membre du Centre d’étude des crises et des conflits Internationaux (CECRI-UCL), ont débattu de l’avenir des Nations Unies et des réformes à engager.

Le Conseil de sécurité : un organe qui doit évoluer mais qui reste indispensable

Pour Victor Angelo, le Conseil de sécurité à un rôle indispensable dans les opérations de maintien de la paix. « Il s’agit non seulement d’un organe qui détient l’expérience et les ressources financières pour mettre en place des opérations de cette ampleur, mais c’est aussi un organe accepté par les Etats membres comme autorité, et comme étant la seule source de légitimité internationale pour ces questions », a-t-il expliqué. 

Le Conseil de sécurité aurait cependant « besoin de quelques changements », a nuancé M. Angelo. Le système des cinq membres permanents, établi en 1945, est resté inchangé depuis, alors que la situation internationale a évolué. De plus, les divisions au sein des membres permanents impliquent souvent le recours au droit de véto qui paralyse les décisions. « Le Conseil de sécurité n’est pas capable de prendre des décisions sur les grands problèmes », a estimé Victor Angelo. Selon lui le Conseil de sécurité n’est pas prêt à répondre aux défis des acteurs non-étatiques émergeants, et reste focalisé sur des missions de maintien de la paix pure plutôt que sur des solutions plus politiques.

Prendre en compte d’autres acteurs

Selon le professeur Michel Liégeois, la conflictualité est en pleine évolution. La façon de régler les conflits doit donc évoluer aussi, en respectant les principes fondamentaux des Nations Unies. Cependant, les opérations de maintien de la paix ne doivent pas se transformer en « interventionnisme militaire », a-t-il souligné.

Les deux orateurs s’accordent à dire que le Conseil de sécurité devrait intégrer d’autres acteurs dans la prise de décision. Pour M. Angelo, l’ONU devrait travailler en relations plus étroites avec d’autres agences du système onusien impliquées dans ces questions, comme ONU Femmes ou encore l’Organe international de contrôle des stupéfiants (INCB). Pour M. Liégeois, ce sont les Etats contributeurs aux opérations qui devraient être mieux entendus lorsque le Conseil de sécurité met en place une opération de maintien de la paix.

Evoluer vers une approche régionale de la conflictualité

Les conflits sont de moins en moins interétatiques, a estimé Michel Liégeois, mais sont en réalité transfrontaliers. Les acteurs ont changé, ils sont non-étatiques, jouent des frontières et les utilisent, à l’image de Boko Haram en Afrique de l’Ouest. « L’ONU a des progrès à faire, car son approche reste centrée sur les Etats, alors que la situation a changé. Cette conception du maintien de la paix se limitant à l’enveloppe frontalière des Etats doit évoluer », a-t-il affirmé.

Pour Victor Angelo et Michel Liégeois, face à ces nouveaux acteurs et ces nouvelles configurations de la conflictualité, l’ONU doit accepter qu’elle ne soit pas forcément la mieux outillée pour répondre efficacement aux problèmes dans une région. « Il n’y a pas que l’ONU », affirme M. Angelo. Les organisations régionales en particulier sont des acteurs ayant un véritable rôle à jouer dans le maintien de la paix, car leur connaissance du terrain et leur légitimité locale leur procurent une efficacité d’action qui peut se révéler supérieure à celle de l’ONU. La coopération entre les Nations Unies et les organisations régionales n’est cependant pas suffisante et doit être améliorée.   

Le problème des missions sans fin

Le professeur Michel Liégeois a soulevé le problème des missions de maintien de la paix de très longue durée. Comment analyser ce phénomène ? Est-ce une grande performance des Nations Unies d’avoir réussi à mettre en place une situation aussi stable ? Où est-ce au contraire le symptôme de l’incapacité de l’organisation à rendre la situation suffisamment stable pour que les forces de l’ONU puissent se retirer ? M. Liégeois parle alors de « l’effet réfrigérant de l’ONU », c’est-à-dire que ces missions ne font que mettre les conflits entre parenthèses, et qu’un retrait des forces onusiennes se solderaient par une reprise de ces conflits. On ne conçoit même plus le pays, la vie quotidienne sans la présence des services des Nations Unies. Le reproche fait à l’ONU est qu’au lieu de construire une paix durable, l’organisation ne fait que la maintenir. La construction de la paix devrait être la finalité même des opérations de maintien de la paix.

Il n’en reste pas moins, a souligné Michel Liégeois que les Nations Unies sont la seule entité capable de déployer des opérations d’aussi grande ampleur pour le maintien de la paix. « Plus qu’un réforme, c’est une évolution qu’il faut, et elle est déjà en marche ».  

 

En savoir plus

Association pour les Nations Unies Belgique 

Les opérations de maintien de la paix (site de l’ONU) 

Crédit photo : APNU