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Angoisse climatique, « deuil écologique » : les impacts du climat sur la santé mentale

Le changement climatique n’affecte pas seulement l’environnement. Il impacte aussi notre santé mentale, un domaine auquel les gouvernements ne consacrent qu’environ 2 % de leurs budgets de santé. Cette part devra augmenter à mesure que le changement climatique s’intensifie, explique le Dr Sanae Okamoto, chercheuse japonaise de l’Université des Nations Unies à Maastricht, UNU-MERIT. Les recherches de cette spécialiste en psychologie, sciences du comportement et neurosciences cognitives portent sur la relation entre le changement climatique et la santé mentale.

Avec ses collègues de l’Université des Nations Unies (UNU-CRIS et UNU-EHS), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’UNICEF, le Dr Sanae Okamoto a mené un événement parallèle de haut niveau à la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28) sur le lien entre climat et santé mentale.

Dans cet entretien accordé à UNRIC, la chercheuse explique se sentir « comme beaucoup d’autres, dépassée par les impacts énormes et incertains du changement climatique ». D’où son intérêt pour en « comprendre l’impact et rassembler des preuves afin que nous puissions nous donner les moyens de relever ce défi mondial. »

Dr Sanae Okamoto, chercheuse de UNU-Merit, à la COP28.
Dr Sanae Okamoto, chercheuse de UNU-Merit, à la COP28.

Quels sont les exemples les plus parlants de l’impact du changement climatique sur la santé mentale ? 

De nouveaux termes sont apparus pour les décrire. Par exemple, l’angoisse liée au changement climatique est associée aux symptômes du trouble d’anxiété généralisée. Elle est vécue par des personnes, souvent jeunes, submergées par le sentiment de n’avoir aucun contrôle sur l’avenir de la planète.

Le « deuil écologique », lui, est déclenché par le fait d’être témoin de la dégradation de l’environnement, de regarder des représentations médiatiques ou de vivre indirectement la crise climatique. Un autre terme, la « solastalgie », décrit les sentiments nostalgiques de personnes dont les terres natales ou les environnements familiers changent rapidement et qui ont perdu un sentiment d’appartenance.

La recherche montre que ces problèmes de santé mentale peuvent aussi bien survenir lors d’événements aigus – tempêtes, inondations et feux de forêt – qu’à travers des changements à long terme, comme les sécheresses et le stress thermique ainsi que les insécurités alimentaires et hydriques qui en découlent. Autre phénomène de long terme : le fait que des écosystèmes et des paysages soient durablement altérés.

Comment analysez-vous le manque de progrès dans l’action climatique mondiale contribuant à la détresse, en particulier chez les jeunes et les enfants ?

Alors que les risques et les événements induits par le changement climatique font la une des journaux presque quotidiennement, de nombreux jeunes et enfants découvrent l’inertie des gouvernements en matière d’action climatique mondiale.

Sur 10 000 jeunes de 16 à 25 ans interrogés dans 10 pays (Australie, Brésil, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal, Royaume-Uni et États-Unis), près de 60 % se déclarent « très inquiets » ou « extrêmement inquiets », selon une étude de référence publiée en 2021  par la revue Lancet. Beaucoup associent également les émotions négatives – se sentir triste, effrayé, anxieux, en colère et impuissant – avec le changement climatique.

L’étude montre qu’un grand nombre de jeunes dans le monde considèrent que les gouvernements échouent à faire face à la crise climatique ou à agir de manière cohérente et urgente, exprimant ainsi leur sentiment de trahison et d’abandon, à la fois individuellement et au nom des générations futures.

Une autre étude a révélé que les jeunes prennent en compte l’anxiété climatique dans leur décision d’avoir ou non des enfants, 97 % d’entre eux se déclarant préoccupés par le bien-être de leurs enfants à l’avenir. Bien que le changement climatique soit désormais reconnu comme un danger catastrophique pour la santé des enfants, causant plus de 88 % de la charge de morbidité actuelle touchant les enfants, très peu d’attention est accordée aux conséquences des risques climatiques sur leur santé mentale.

Environ 85 % des enfants, soit 2,2 milliards de personnes dans le monde, vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire, qui sont aussi les plus vulnérables aux risques climatiques.

Nous rencontrons des jeunes qui pensent qu’ils n’atteindront pas l’âge de 50 ans à cause du climat. Que leur répondez-vous ?

Il est important de fournir un environnement sûr où les jeunes peuvent parler ouvertement de leurs sentiments, valider leurs préoccupations, reconnaître ces sentiments avec empathie et leur assurer qu’il n’y a rien de mal à s’inquiéter de l’avenir.

Il est également important de souligner qu’il existe de nombreuses actions positives dans le monde et d’encourager les jeunes à prendre quelques petites actions positives, comme rejoindre des projets scolaires, des activités familiales ou communautaires, pour leur permettre de se sentir connectés aux autres et à la nature.

En même temps, il est nécessaire de surveiller le bien-être émotionnel des jeunes. Si l’anxiété persiste ou si leurs activités quotidiennes normales (par exemple, travailler à l’école, jouer avec des amis, manger, dormir) sont perturbées par des préoccupations excessives concernant le fait de ne pas survivre à la crise climatique, il est important de consulter un professionnel agréé dès que possible.

L’éducation a-t-elle un rôle à jouer en faveur de la résilience des générations futures ?

Construire des connaissances sur le changement climatique, mais aussi apprendre les uns des autres ce que nous pouvons faire, devrait être considéré comme relevant d’une nouvelle norme, car les enseignants, les parents et les tuteurs peuvent également se sentir anxieux. Nous devons donner aux personnes qui guideront la prochaine génération les connaissances nécessaires et leur expliquer le type d’actions que nous pouvons entreprendre.

Nous devrions également enseigner aux enfants des faits d’une manière qui ne les effraie pas, notamment en incluant un apprentissage expérimental collaboratif, avec des activités communautaires telles que la plantation d’arbres dans l’environnement local et l’interaction avec des climatologues.

Quels résultats attendez-vous de votre travail ?

Aujourd’hui, seulement 28 % des pays selon l’OMS disposent d’un programme fonctionnel intégrant la santé mentale et le soutien psychosocial dans la préparation et la réduction des risques de catastrophe, y compris pour les aléas liés au climat. Les gouvernements consacrent en moyenne seulement 2 % des budgets de santé à la santé mentale. Des budgets plus restreints conduisent à un accès réduit à des soins de santé appropriés et à un manque de travailleurs en santé mentale.

Le soutien à la santé mentale à l’échelle mondiale est semé d’embûches, même sans tenir compte du changement climatique. Un milliard de personnes dans le monde vivent actuellement avec un trouble de santé mentale, avec seulement 13 agents de santé mentale pour 100 000 personnes dans le monde. La situation est encore plus grave dans les sociétés où les problèmes de santé mentale sont considérés comme culturellement tabous.

Il est donc urgent de prioriser et d’allouer des ressources adéquates pour relever les défis de santé mentale, tant au niveau national qu’international. Cette COP28 a organisé la toute première Journée de la Santé le 3 décembre. Avec beaucoup de ceux qui travaillent et font des recherches dans le domaine de la santé, j’espère que la santé sera au cœur de l’agenda climatique.

Plus précisément, la présence de la santé et de la santé mentale dans les axes de travail sur l’adaptation et les pertes et dommages non économiques de la CCNUCC [ONU Changements Climatiques] devrait également être élargie avec des mécanismes de financement spécifiques et dédiés.

Quelles sont les principales actions et priorités que vous recommanderiez aux décideurs politiques ?

Ne négligez pas l’impact de la maladie mentale sur la population. Cet impact peut être intensifié par des vulnérabilités et des inégalités préexistantes liées à l’âge, au sexe, à l’origine ethnique, au handicap, aux disparités économiques et au déplacement. En conséquence, une mauvaise santé mentale peut entraîner une altération des capacités cognitives, des relations familiales et sociales tendues, une toxicomanie et même le suicide. C’est un problème de santé publique. C’est un défi, mais si nous le relevons correctement, ce sera également une opportunité pour la santé publique.

Les décideurs politiques devraient inclure cette question dans la stratégie climatique nationale en augmentant le budget consacré au soutien à la santé mentale, en explorant de nouvelles technologies et des approches communautaires.

Quel est le message le plus crucial que les lecteurs devraient retenir de votre travail ?

Acceptez que la situation puisse être accablante, sensibilisez, renseignez-vous sur ce qu’il est possible de faire, en adoptant un comportement pro-environnemental : recycler le plastique, prendre les transports en commun, réduire les déchets, nettoyer… Bref, essayez de faire votre propre petite action par vous-même, en encourageant les autres à vous rejoindre.

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