Dans les coulisses de la diplomatie belge au Conseil de sécurité

Philippe Kridelka, Ambassadeur de la Belgique auprès de l’ONU à New York © Photo ONU, Loey Felipe

Au moment où elle présentait le bilan du mandat au Conseil de sécurité des Nations Unies exercé par la Belgique entre 2019 et 2020, la ministre des Affaires étrangères belge Sophie Wilmès annonçait que le pays se porterait candidat pour un septième mandat en 2037-2038.

Pourquoi un tel engagement de la Belgique pour le multilatéralisme, quel rôle le pays envisage-t-il de jouer, comment s’y préparer ?

Pour répondre à ces questions, UNRIC a interviewé trois diplomates belges, Axel Kenes,Directeur général des Affaires multilatérales et de la Mondialisation; Bert Versmessen, Directeur Nations Unies et Philippe Kridelka, Ambassadeur de la Belgique auprès de l’ONU à New York.

Ils nous amènent dans les coulisses du mandat 2019-2020 qui selon M. Axel Kenes « a été surtout marqué par les tensions au sein des cinq membres permanents et par les tensions entre les Etats-Unis et leurs partenaires les plus proches ». Concernant la candidature belge pour 2037-2038, ils nous offrent leur vision d’un Conseil de sécurité idéal et esquissent des pistes pour « renforcer le rôle de l’ONU ».

Que dit cette nouvelle candidature de l’engagement de la Belgique en faveur du multilatéralisme ? 

Bert Versmessen (BV): Le multilatéralisme reste très souvent un credo, tandis qu’il faut aussi y contribuer activement. C’est ce que fait la Belgique en exerçant des mandats et des responsabilités. Le Conseil de sécurité est le mandat le plus recherché et le plus visible, c’est vraiment le cœur du métier.

Axel Kenes (AK) : Entretemps, nous allons assumer cette année une partie de la présidence de la Conférence du désarmement et nous sommes candidat pour rejoindre en 2023-2025 le Conseil des droits de l’homme. La Belgique ne se réveille pas une fois tous les 12-15 ans quand elle est au Conseil de sécurité. Elle reste un acteur en alerte et permanent.

Comment la coopération européenne au sein du Conseil s’est-elle manifestée ?

Axel Kenes
Axel Kenes

AK : La solidarité européenne est devenue visible dans le dossier du nucléaire iranien. La Belgique et ses partenaires sont parvenus à tenir la même ligne face à une grosse pression diplomatique des Etats-Unis. Les Américains jugeaient que bien qu’étant sortis de l’accord nucléaire avec l’Iran, ils avaient le droit de réactiver des sanctions au titre de ce dernier. Nous leur avons fait comprendre que nous ne partagions pas leur analyse.

BV: Nous avons pu garantir l’unanimité sur ce sujet particulièrement controversé. Nous sommes un joueur modeste par rapport aux cinq membres permanents (5P), mais au Conseil de sécurité, chacun dispose d’un vote et ce vote vaut autant que celui des 5P.

Philippe Kridelka (PK) : Notre délégation a systématiquement mentionné les positions de l’Union européenne (UE) ou salué les déclarations de M. Borrell ou du Conseil européen dans ses interventions. C’est un moyen de faire exister l’Europe à l’ONU et de mettre en évidence le rôle moteur que joue l’UE dans ces dossiers.

Quelle anecdote vous a le plus marqué pendant le mandat de 2019-2020 ? 

 

Discours du roi Philippe pendant la présidence belge
Discours du roi Philippe pendant la présidence belge © Belgium Foreign Affairs

BV: C’était le 12 février 2020, lorsque le roi a prononcé son discours pendant notre présidence du Conseil : un moment fort pour toutes les personnes impliquées ! Je me rappelle l’image rare du Roi des Belges assis derrière un chevalet portant la mention « Président ».

PK : Deux fois par mois, les membres du Conseil de sécurité ont un déjeuner avec le Secrétaire général, en personne ou par vidéo pendant la période de la Covid. Le Secrétaire général choisit deux ou trois situations de pays sur lesquelles nous avons un échange. C’était un moment extraordinaire. C’est le seul lieu où nous pouvons échanger librement avec le Secrétaire général en présence des Russes ou des Chinois. Je vais plaider pour que ce genre de lunch informel ou café en petit comité s’organise aussi avec les Etats Membres qui ne siègent pas au Conseil.

Quelles leçons apprises de ce mandat souhaitez-vous appliquer en 2037-2038 si votre prochaine candidature est retenue ? 

PK : Ce que la Belgique fait pour encourager les militants de la société civile à s’exprimer.

AK : Cette collaboration nous singularise. Les contacts avec les citoyens belges via les ONG sont vraiment essentiels. Le multilatéralisme n’a pas de sens si les Belges n’en sont pas conscients et ne comprennent pas ce que nous faisons.

Pouvez-vous donner un exemple de l’impact des décisions du Conseil de sécurité sur la vie quotidienne des gens ?

AK : Nous sommes parvenus à faire adopter des recommandations sur 13 des 14 situations problématiques des enfants dans les conflits armés identifiées par le Secrétaire général. Nous avons également enrichi la plupart des résolutions du Conseil de langage spécifique sur cette thématique.

PK : C’est l’un des dossiers qui nous a aidé à faire comprendre à la population et au parlement belge, toute l’importance d’être au Conseil de sécurité. C’est l’ONU dans ce qu’elle a de mieux : des Etats Membres motivés, une société civile impliquée et le boulot formidable de dialogue avec les équipes de l’ONU sur le terrain que réalise le département de la Mme Gamba, Représentante spéciale des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés.

Quels changements voudriez-vous pour le Conseil de sécurité d’ici 2037 ?

Bert Versmessen avec roi Philippe
Bert Versmessen avec le roi Philippe © Belgium Foreign Affairs

BV: Il y a manifestement un problème de représentativité. Cela affecte principalement, mais pas exclusivement, le continent africain. Le Conseil devrait s’élargir. L’impatience grandit, mais je ne pense pas qu’il y aura de changement révolutionnaire d’ici-là. Nous pouvons déjà créer des changements mineurs, comme la limitation du droit de veto, par exemple sur les questions des génocides. En cas de véto, le dossier serait alors automatiquement renvoyé à l’Assemblée générale.

A quoi ressemblerait le Conseil de sécurité idéal de la Belgique en 2037 ? 

AK : Le Conseil de sécurité doit pouvoir se pencher sur des questions qui relèvent au sens large du concept de sécurité. Cela veut dire une sécurité qui tient compte du besoin de respect des droits fondamentaux, du besoin de justice contre l’impunité et qui prend en compte les impacts du changement climatique.

PK : J’espère que cette importance croissante des défis globaux comme le terrorisme, les pandémies, le climat, la biodiversité, ou encore l’environnement, fera apparaître à tous les Etats Membres la nécessité de transférer un peu plus de leur souveraineté nationale vers le système multilatéral et permettra ainsi de renforcer le rôle de l’ONU.

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